Burundi - Semaine 2

Publié le par Jabla

Salut !

 

Comme vous le savez probablement, je suis basé dans la province de Ruyigi, dans la ville de Ruyigi. Ici toutes les capitales de province portent le même nom que leur province. C’est assez pratique pour s’en souvenir, surtout que j’ai encore beaucoup de mal avec les noms des agglomérations burundaises (Kininya, Cankuzo, Gisuru, Ngozi…)… Le Burundi a beau être minuscule, se déplacer se révèle être problématique. De fait on se sent très aisément éloigné de tout. A l’échelle du pays et sur le papier Ruyigi est sans doute une ville importante, la toute nouvelle vice-présidente est d’ailleurs venue nous rendre visite ce week-end. Mais c’est un pur bled. Pour se ravitailler, il faut aller dans la province voisine de Gitega, dans la ville de… Gitega (je vous avais dit que c’était facile) ! Ou carrément à Bujumbura, la capitale du pays. Je parle d’acheter du lait en pack, des boites de thon ou de l’huile d’olive. Rien de bien funky. Beaucoup de produits de grande consommation deviennent ici un luxe. On n’a pas de beurre par exemple. Mon médecin - si j’en avais un - serait sûrement très content de l’apprendre. Le truc marrant c’est que ça ne me manque pas spécialement. Tout de même à Bujumbura, on peut trouver du Nesquick, des corn flakes ou de l’emmental. Pas à Ruyigi. Pour être franc il n’y a pas de magasin à proprement parler. Plutôt 2 ou 3 épiceries, et pas trop bien achalandées… Sauf si on cherche des mats, des pelles ou des houes ! Ca me fait beaucoup penser à Bombay, les vaches et le massala en moins. A côté de ça, les fruits sont super bons, les légumes aussi, et on prend tous nos repas sous une paillote construite dans le jardin. C’est cool, mais ça ne change rien au fait que Ruyigi c’est un bled, un vrai sans éclairage public et avec d’oh combien fréquentes coupures d’électricité… ! ACF est la seule ONG – en dehors du HCR – à posséder un groupe électrogène pour sa maison. Heureux privilège ! Mais ça va même pas durer, on doit l’envoyer sur une de nos bases qui est sur la frontière tanzanienne.

Revenons à Ruyigi. Le gouvernement a promis l’installation future d’une borne pour les téléphones portable, mais on en n’est pas encore là. Pour moi, la ville se limite à un rond point et une rue, qui va du marché au lycée en passant par l’hôpital. Entre les deux, environ 2/3 kilomètres, peut être moins…. On trouve quelques « cabarets » (c’est ainsi qu’on appelle les bars au Burundi), qui comme le reconnaît Rémi un membre de notre staff, « se comptent sur les doigts de deux mains ». Dans les cabarets, on boit de la bière (la Primus locale ou de l’Amstel brassée au Burundi) dans des bouteilles de 65 ou 72cl, on écoute de la musique (reggae ou musique africaine, c’est cool !), on discute et on sert beaucoup de mains ! En effet, le protocole burundais est très strict là dessus. Si on entre dans une pièce, il faut saluer toutes les personnes présentes, pareil si on quitte un endroit. Dans les lieux publics, il est toléré de se limiter aux tables accueillants des connaissances. Ouf. En une soirée il n’est pas rare de serrer une trentaine de mains, sans pouvoir toutefois identifier son interlocuteur, les cabarets sont plutôt mal éclairés ! Déjà que j’ai du mal à reconnaître les membres de notre staff (80 personnes, avec des noms bien originaux parfois!), alors les inconnus !

Autre spécialité des cabarets : les brochettes de chèvre, c’est un incontournable de la gastronomie burundaise, et franchement c’est super bon. Les meilleurs se mangent dans les petits villages, où on peut apercevoir la chèvre en bien mauvaise posture pendue par les pieds à l’extérieur de l’établissement. Au moins, la viande est fraîche, pas de soucis de respect de chaîne du froid ici. C’est pareil pour les poulets que j’aperçois joyeusement gambader pendant 2 jours dans notre jardin, avant de les retrouver parfaitement mitonnés, accompagnés de bananes plantains ou de pommes de terres dans une grosse marmite. Yummie ! Il fait bien un peu chier à gueuler le matin, mais comme on se lève tôt et qu’il ne dure jamais longtemps, c’est pas trop gênant. En tout cas, c’est bien la première fois que je peux contempler ma nourriture de plein pied avant de pouvoir la savourer ! Vu que j’ai déjà parlé des cabarets, il ne reste plus beaucoup de loisirs à évoquer. Et puis franchement, le « s » à cabarets est plus un effet de style qu’une réalité, vu qu’on n’honore qu’un seul de ces établissements, les autres étant plutôt sommaires ou fréquentés par une clientèle « à problèmes », style militaires ou gendarmes. Un détail marrant, c’est qu’entre tous ces points de la ville, qui doivent se situer à tout casser à 800 mètres les uns des autres, on se doit d’utiliser un gros Toyota Land Cruiser bardé d’autocollants ACF et avec sur le capot une énorme antenne de Codan ! Pour d’obscures raisons de sécurités on doit se déplacer en permanence en voiture… Déjà qu’en qualité de Mozungu (la version locale du yabanci ou du toubab) on passe pas vraiment inaperçu, là c’est carrément impossible.

Je profite de cette digression pour évoquer la communauté expatriée blanche de Ruyigi… On est une grosse dizaine. Pas plus. En plus des blancs, il y a aussi un grand nombre d’africains qui bossent pour le HCR (haut commissariat aux réfugiés) qui a un bureau ici, mais les UN (zuhaine) comme on les appelle traînent souvent entre eux. Juste pour info, leurs chauffeurs - Burundais - gagnent plus que nous ! Une belle usine à gaz en tout cas. Ils financent un grand nombre de projets dans la province, mais toute validation prend 10 jours. En combinant leur lenteur administrative et les procédures d’ACF, je vous laisse imaginer les prises de tête bien souvent facilement évitables dans un monde normal, mais bon, c’est comme ça que ça marche, faut bien se faire une raison ! En terme d’ONG, sont présentes sur place l’UNICEF, Caritas et LVIA (Italie), ainsi que MSF Hollande. Des équipes de Handicap International, de la coopération allemande (GTZ) ou belge interviennent également sur Ruyigi, mais n’ont pas de représentation permanente. Pour résumer, on se voit souvent entre LVIA (Valeria et Micki), Caritas (André-Bob, un phénomène mais j’y reviendrai) et Aude (ex-ACF et désormais UNICEF). Ah j’allais oublier Lino, le directeur local du HCR. Dandy bisexuel italien d’une cinquantaine d’années, alliant culture, classe et raffinement, qu’on imaginerait bien plus facilement aux soirées de l’ambassadeur à Paris ou Rome, qu’à une tartiflette improvisée chez Aude (savoyarde de son état ne se déplaçant jamais sans son reblochon) sur fond de Black Uhuru !

Puisque que je suis parti autant commencer les présentations de ce petit monde. En plus de Lino, André-Bob (son père adorait Dylan) est une autre personnalité importante dans notre microcosme. Il se fait appeler Pich, c’est du marseillais il paraît. Au début je croyais qu’André et Pich étaient 2 personnes différentes. Bon j’ai fini par comprendre avec le temps ! Agé de 35 ans, ce Belge est pourtant Burundais. Toute sa famille vit ici (ses parents viennent même de s’y installer pour leur retraite !), en dehors des quelques années passées à Bruxelles pour ses études, il a vécu la majeure partie de sa vie dans la région. S’il bosse aujourd’hui pour Caritas au fin fond du Burundi, sa femme et ses 2 enfants vivent à Buja. Il remonte les voir régulièrement. Il a tout fait, tout connu dans le pays depuis qu’il est en âge de se souvenir. Je vais essayer de passer quelques soirées avec pour en apprendre plus. Fan de reggae et de médecine douce, je sens qu’on va s’entendre ! Aude quant à elle travaille à Ruyigi depuis quelques années. 2 ans d’ACF et 1 an à l’UNICEF font d’elle une ancienne d’à peine 30 ans à qui on ne la fait pas. Caractère bien trempé, franche et directe, elle est passé par le Congo, et a eu la chance de vivre la fin de la guerre ici. Elle parle parfois cette époque, où les Burundais ne savaient pas s’ils allaient voir le soleil se lever le lendemain. Ramenés à la population française 500 000 morts en 10 ans ici correspondent à près de 5 millions de victimes. Plus de 2 fois Paris intra muros… Pffff ! Disparus, massacrés, mutilés, exterminés… Aude n’en garde pas moins une réelle affection pour ce pays, ses habitants et parle même kirundi. Une des rares occidentales « de passage » à le faire. Son crédit est grand ici. C’est en sortant avec elle qu’on sert mains sur mains dans les cabarets !

Un des paradoxes de la vie d’un expat humanitaire est son apparente proche relation avec les populations locales, mais également toute la distance qui nous en sépare. Je m’explique. D’un côté on va se taper 4 heures de piste pour aller rendre visite au responsable d’un groupement  - sorte d’association de « bénéficiaires » - au fin fond de la brousse pour négocier les détails de l’ouverture d’une boutique dans son village dans le cadre d’un programme d’activités génératrices de revenus. Une fois sur place on rencontre tout le monde, les gamins arrivent en courant à la seule vue du 4*4 et on passe 2 heures à comprendre la véritable et profonde raison de notre présence dans ce pays. D’un autre côté, pour se rendre au bar d’en face, on va utiliser le même gros 4*4, et quand on descend de là, tout le monde ne voit que ces « mozungu » avec leurs radios qui grésillent tout le temps (les fameux handsets) et les poches pleines de francs bu ! Ce pays est vraiment pauvre. Dans les villes on ne ressent pas trop ce phénomène, mais parmi les « bénéficiaires », on s’en prend plein la gueule. Ils n’ont pas été sélectionnés pour rien. Là bas les gens gardent le même t-shirt 10 ans ! Ca les empêche pas de sourire et de rire, mais on ne peut pas dire qu’ils vivent… ils se contentent de survivre pas plus. Notre boulot c’est de les sortir de ce cycle.

Question boulot, je suis logisticien support sur un programme d’aménagement de marais dans la commune de Gisuru. On est en train d’ouvrir une sous base, mais pour des raisons de sécu, un expat ne peut pas dormir sur place, et comme toutes les voitures doivent être rentrées sur Ruyigi avant 16h30 (pour un départ fixé entre 9h30 et 10h histoire d’attendre le check sécu du HCR), ça limite le temps sur place ! Mais je vais être bientôt amené à reprendre le programme Food Security, le responsable actuel nous quittant prématurément pour de tristes raisons familiales (courage Eric…). Ceux qui connaissent le monde de l’humanitaire et mon parcours doivent bien rigoler là ! Eric que je remplace est agronome, de mon côté j’ai étudié le commerce ! Je vais reprendre son équipe (ouf ils sont cool), et ses programmes (construction de hangars, d’étables, de chèvreries… acahat et distribution de chèvres, de vaches, de boucs, de taureaux, d’alevins, de décortiqueuses, de semences de sorgho, de haricot, de riz…). C’est folklo en tout cas. L’autre jour je me suis retrouvé à l’arrière de mon 4*4 à négocier en kirundi l’achat de 144 bennes de moellon (de pierres, je savais pas non plus ce que c’était avant) et de 88 bennes de sable au fin de la campagne. Cool ! Je dois décharger des sacs de ciment ou de semences… Youpi !

Publié dans Trips

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