Burundi - Semaine 5

Publié le par Jabla

La vie à Ruyigi suit une petite routine ponctuée par les emmerdes rencontrées sur le terrain. Rien de plus normal quand on connaît les conditions dans lesquelles on travaille. Prenons l’exemple des voitures et de la sécurité. En gros, il existe 2 sortes de radios : les HF et les VHF. Avec les HF on peut communiquer dans tout le pays sur le même canal, donc dans une même région comme le Moso où la sécurité alimentaire intervient. Là où le bas blesse, c’est que beaucoup d nos voitures sont équipées de VHF à la portée plus que limitée. Gênant quand on se retrouve dans la mob 8. Ah… Cette voiture c’est tout un poème. Son histoire rejoint celle d’ACF dans la région. E véhicule est un pick-up simple cabine de Toyota dont personne ne connaît l’age exact… Après moult interrogatoires et enquêtes divers j’en suis arrivé à la conclusion qu’elle doit avoir entre 12 et 14 ans. Elle a fait la Somalie à la grande époque, le Burundi avant le génocide et la guerre civile, le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya et rebelote le Burundi. Une « africaine » comme on en fait plus.  Cette voiture est une épave. De l’extérieur du moins. En effet, le moteur a été refait à neuf y’a pas 2 ans, en revanche les circuits électriques sont plus que défaillants. Un rapide coup d’œil aux branchements suffit à évaluer l’ampleur des dégâts, mais putain Amidou notre chauffeur mécano, il assure avec 2 bouts de ficelle et 1 fil dentaire ! Mais tout le talent d’Amidou ne suffit pas. La mob 8 tombe donc régulièrement en panne. L’autre jour, en mission sur Roméo 5 (Gisuru pour les non initiés, 1h30 de bonne piste de Ruyigi, là où on aménage nos marais), on se gare à notre bureau et juste avant de repartir, on se rend compte que le pneu est à plat. Amidou commence donc à changer la roue, mais manque de bol le pneu de rechange est aussi à plat… Cool ! J’allais oublier de préciser, Gisuru est une ville, mais il n’y a ni eau courant, ni électricité, ni rien. Pas de pneus, pas d’essence, pas de garage, pas grand chose. Y’a bien 2 cabarets, des brochettes et des boissons chaudes, mais bon ça change pas une roue ça !


On appelle donc la base :


« Romeo Juliet Base pour Romeo Juliet 3.6. »

« La Base à l’écoute. »
« On a un petit problème, les 2 pneus de la 8 sont à plat. On demande un soutien. A toi. »

 « Tu confirmes que les 2 pneus sont à plats ? A toi ? »

 « Affirmatif. On a besoin d’aide à toi. »

 « Bien copié. Stand-by, je contacte 3.1 »

« Bien copié. Standing-by. »

Quelques minutes passent, alors avec Albert aka Romeo Juliet 3.4 on va commander une brochette ou deux et s’enfiler quelques Fantas tanzaniens de 450ml chauds mais bons. Amidou de son côté cherche à réparer les chambres à air. Je me sens un peu coupable d’aller bouffer sans lui, mais en fait c’est ramadan, il ne mange pas, alors ma conscience me travaille moins, puis plus du tout. Enfin, il est censé ni boire ni manger, mais l’autre jour j’étais avec lui et Albert, on rentrait de 5h de terrain sans eau ni nourriture. Petit crochet par la maison avant de renter au bureau et là grosse pub Fanta : je cours chercher dans le frigo 3 belles bouteilles bien oranges, on était tous assis à l’avant de la 8 (toujours elle) et là, d’un seul homme, tout couverts de poussière, exténuées mais heureux d’être arrivés à bon port, on finit cul sec les fantas, et ensuite on reste là sans rien dire pendant quelques secondes, béats et ravis de cette dose de sucre, un grand sourire aux lèvres… Bon là à Gisuru, on était un peu plus inquiets, mais y’avait pas grand chose à faire qu’attendre. Une fois les brochettes finies, on retourne voir Amidou qui tout content nous dit qu’il a réussit à réparer. Pas une, mais les deux. Il est fort Amidou. Entre temps la base nous a envoyé au cas où la mob 13 (la voiture d’évacuation qui reste constamment en stand-by sur la base au cas où on devrait précipitamment quitter le pays et passer en Tanzanie). Là c’est moins grave, mais elle vient quand même. Avec la 8 on sait jamais. Sur le chemin du retour on tombe d’ailleurs sur la 13 qui roulait à toute allure pour voler à notre secours. Je change opportunément de véhicule et on rentre en convoi sur romeo 1 aka Ruyigi. Tout se passe bien jusqu’au point romeo 141, là la 8 s’arrête sans crier gare. Les pneus n’ont rien, mais un fusible semble avoir grillé. Amidou s’active, triture quelques fils, en plie d’autres et semble plutôt satisfait. 5mn plus tard tout le monde repart. Mais quelques centaines de mètres plus loin, la 8 s’arrête à nouveau, et tous nos efforts (les leurs surtout j’avoue, j’ai beau avoir mon permis, je ne reste pas moins un néophyte en mécanique des fluides et des moteurs) pour redonner vie à cette vielle carcasse restent vain. Fort heureusement 3.1 avait prévu le coup et la 13 avait une tige de remorquage sur son toit. Pour l’attacher aux deux véhicules on a du bricoler quelques chaînes, cordes, clous et vis tordues. Après 30mn d’effort la 8 peut enfin repartir tractée par la 13… Pauvres Albert et Amidou qui ont mangé de la poussière 1 heure durant en subissant stoïquement les nombreux à-coups inhérents aux pistes, même en relatif bon état. Notre retour plus d’une heure après le couvre feux officiel a été salué par la base. Quelle merde la 8 ! Je m’en rappellerais de cette expédition.


Bon transition facile, mais il fallait bien en trouver une. Ceux qui me lisent encore ne sont pas savoir que le Burundi a connu un beau génocide précurseur de celui du Rwanda et ensuite une guerre civile. Plus de 500.000 Burundais ont péri par le feu ou le fer. ACF se refuse à distribuer des machettes à ses bénéficiaires par exemple. Trop « touchy ». Eh bien, je mets n’importe qui au défit de deviner ça en parcourant le pays ou en écoutant les gens parler. C’est fou. Dans les campagnes, les paysans galèrent, les gens se promènent au bord des routes, les enfants courent en apercevant une voiture et crient comme des fous quand ils se rendent compte de la présence d’un « mozungu » à son bord. Les filles timides, n’osent pas nous regarder. Les gens rient en voyant les enfants partir en pleurant complètement terrorisés par le « blanc » qui ne cherchent qu’à leur serrer la main (moi en l’occurrence) et tout le monde vaque à ses occupations, le plus tranquillement du monde. En aucun cas je n’arrive à imaginer ces paisibles personnes traquer sauvagement leurs voisins, la machette ensanglantée à la main. Les femmes les excitants de leurs cris et les enfants pleurant, ne comprenant pas pourquoi le si gentil petit vieux de la veille vient de couper leurs parents en morceaux, d’empaler leur grand-père et de crucifier vivante leur petite sœur avant de l’avoir violée… Ce pays a connu le chaos le plus sanglant, mais tout est refoulé. Bourreaux et victimes vivent sur des collines limitrophes, se croisent les jours de marché ou lors des grandes occasions. Tout le monde connaît l’identité des tortionnaires, aucune famille n’a été épargnée. A Bujumbura même, on entassait les hutus dans des camions et on lançait des grenages à l’intérieur ensuite, les gens étaient pourchassés dans la rue par une foule en délire armée de barre de fer, de machettes ou de simples bouts de bois. C’était la folie. Le sang ruisselait dans les caniveaux… La politique de la haine prêchée par les extrémistes avait réussi. Et aujourd’hui le pays entier vit dans le déni. On n’en parle pas. Je n’ai jamais entendu autre chose que « crise » pour qualifier cette période. Génocide, guerre civile, massacres sont des mots tabous. Hutu et tutsi également. Personne ne les prononce à voix haute. Ca ne se fait pas. Alors je pose des questions, on élude. Finalement quelques rares Burundais confie une partie de leur histoire. Sanglante. Terrible. On se croirait dans un mauvais film de série B. Voilà pourtant la réalité dans toute son horreur. Cette jeune fille a bien eu ses parents brûlés vifs. Cet homme a trouvé sa sœur écartelée. Ce village a été rasé par les habitants de la colline voisine. Toute cette horreur tue, niée… C’est peut être ça qui me dérange le plus. Un tel traumatisme ne peut être gardé pour soit, il faut en parler. Je ne suis pas psychiatre, mais ça me paraît malsain, dangereux…  Faire comme si rien n’est arrivé ne me semble pas être la bonne solution. On en parle avec quelques amis Burundais, ils sont d’accord avec nous, mais contrairement au Rwanda, au Burundi il n’y pas de véritable volonté politique d’exorciser la haine qui couve probablement encore. Moi qui pensais en apprendre plus sur ce qui m’apparaissait comme un conflit inextricable, je suis servi. Le sujet est tabou ! Ca fait bizarre de demander à quelqu’un s’il connaît les personnes qui ont massacré une partie de sa famille. S’il a fait la guerre. S’il a été amené à tuer des gens. Comment c’était de garder des positions avancées de l’armée avec juste quelque kalashs pourries alors qu’en face la guérilla FNL les harcelait à l’arme lourde… L’Occident riche et paisible ne mesure pas sa chance.


En parlant des FNL, il semblerait que le gouvernement commence a en avoir assez de ses multiples provocations. Quelques poches ont été identifiées dans notre province, l’armée veille et une intervention ciblée semble imminente. La rumeur fait état de nombreux « instructeurs » chargés du recrutement et la sensibilisation de la population. Le gouvernement et le FNL sont engagés dans un drôle de bras de fer / dialogue qui semble tourner au désavantage de ce dernier. Espérons qu’ils n’adoptent pas la politique de la terre brûlée, Ruyigi serait aux premières loges malheureusement, et on a franchement pas besoin de ça. Les gens ici ont repris une vie normale, impossible de se douter qu’il y a 3 ans à peine sortir la nuit équivalait à se prendre pour sur une rafale de kalash. Ce pays est sur la bonne voie, mais il faut être vigilant. Un nouveau président a été élu démocratiquement. 2 vice-présidents ont été nommés dans la foulée. Un homme. Une femme. Un Tutsi. Un Hutu. L’armée et la police se partagent à 60%/40% les effectifs entre Tutsis et Hutus, tout comme l’administration et l’assemblée nationale. Ces quotas sont inscrits dans la constitution. Aller, tout va bien se passer… Mais ici rien ne permet de déceler des signes avant-coureurs d’une crise, tous les indicateurs sont au vert, mais si un fou du FNL décide de lancer une offensive, ça va péter.

Je conseille à tous de visionner un film qui m’a profondément marqué, comme je l’ai rarement été ces dernières années. Il doit être disponible en P2P, au pire je vous le ramènerai en DivX : « Warriors, l’impossible mission ». Ce film de la BBC en deux parties relate l’histoire d’une brigade de soldats anglais, envoyés 6 mois en Bosnie en 1992/93 au plus chaud des massacres inter-ethniques. Profondément humain et terriblement juste, ce film à voir absolument détaille les divers situations auxquelles un soldat impuissant avec un mandat bien particulier peut être confronté alors qu’anciens voisins et amis s’étripent sous ses yeux.  Pour un de mes colloc’/collègues, il représente la quintessence de l’engagement humanitaire. Il traîne ses guêtres dans ce monde depuis plus de 7 ans, il doit savoir de quoi il parle. Sans aller jusque là, une nouvelle fois la BBC prouve sa suprématie sur des médias comme France 2, pour qui financer des productions comme Monte Cristo et les Dolmens est bien là une preuve de son impertinence et de son courage éditorialiste. Pathétique.

Publié dans Trips

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