Burundi - Semaine 1
Karibu !
Désormais vous en savez (presque) autant que moi en swahili, une des quelques langues largement comprises et parlées en République du Burundi. Bien que les deux langues officielles soient le kirundi et le français, du fait d’une longue frontière avec la Tanzanie et d’une proximité avec le Kenya le swahili est beaucoup utilisé par les Burundais, tout au moins à Bujumbura, capitale du pays. En dehors de cette « ville », les gens parlent généralement exclusivement kirundi. Venez au Burundi qu’ils me disaient, ce pays est francophone !
Je dois avouer que je n’ai pas encore totalement assimilé d’être finalement arrivé dans la région des grands lacs. Après mes expériences égyptienne et australe qui remontent déjà à quelques années, me revoilà en Afrique. Mais cette fois ci, en Afrique Noire ! J’avais été tellement déçu de la difficilement identifiable « africanité » de l’Afrique du sud que je me devais de donner une nouvelle chance à ce continent. Le trajet en avion a été des plus monotones, et il a fallu attendre d’apercevoir la savane depuis la salle d’attente de l’aéroport de Nairobi en attendant notre vol pour Bujumbura pour que je commence à véritablement réaliser que j’étais désormais en pleine « terra incognita ». Le soleil se levait à peine au loin juste derrière les pistes d’atterrissage et les quelques avions - de ligne – stationnés. On discernait ce paysage si typique des habitués des reportages animaliers des chaînes du National Geographic ou de Discovery Channel. Un ciel orangé, une savane jaune, ocre et déserte, peuplée de ci de là de baobabs aux formes si africaines… Y apercevoir des lions ou des gazelles ne m’aurait guère étonné je dois l’avouer. Mais bon, on a rien vu.
Moi qui pensais effectuer le dernier tronçon de mon voyage dans un vieux coucou, j’ai été bien déçu : Boeing 757 au programme, avec plateau repas et hôtesses souriantes bien conventionnels ! Il m’a fallu attendre 3 jours pour goûter aux joies du Dornell 228 du PAM (Programme Alimentaire Mondial) de 16 places qui assure une liaison quotidienne entre Bujumbura, Ngozi, Ruyigi, Muyinga, Makamba et Buriri les principales villes du Burundi pour les personnels ONG. Ce pays est minuscule, mais entre l’état des routes, une relative insécurité et 80km parcourus en 2 heures, le choix est vite fait. Ces vols sont assurés par des pilotes Sud-af en manque de sensations fortes. Pour corser un peu ces trajets qu’ils doivent trouver monotones, ils cherchent nuages, trous d’air et autres délices pour anxieux en avion ! J’en connais qui adorent, personnellement ça ne me déplaisait pas, tout excité que j’étais de finalement pouvoir jeter un coup d’œil aérien au Burundi. Des collines, des collines et encore des collines ! On entre petit à petit dans la petite saison des pluies qui avec un peu de chance arroseront cette terre rouge et sèche que j’ai aperçu depuis les airs.
J’ai commencé à vraiment réaliser ce que je faisais en atterrissant à l’aéroport international de Bujumbura. L’unique piste ne peut pas accueillir un grand nombre de rotations, mais bon, faut avouer que nous ne nous trouvons pas sur un hub non plus. Mis à part l’avion tout rouillé (à l’abandon j’espère…) de Air Burundi et d’un Boeing de la Ethiopian Airlines, il n’y avait que de vieux avions tout argentés, à la carlingue composée de carreaux brillants au soleil ! Mais comment oublier les camions remplis de militaires UN au bord de la piste qui avaient installé des mitrailleuses lourdes sur le toit de l’aéroport. Welcome to Africa !
Mes premiers pas au Burundi ont été rares et mesurés. Les consignes de sécurité (couvre feu, no-go areas…) très strictes chez ACF limitent énormément les déplacements, et le rythme de mes soirées de départ combiné avec un long voyage (sans décalage horaire, heureusement) m’ont mis KO, dans un premier temps tout au moins. Ensuite mon responsable logistique qui rentrait juste de break de Zanzibar en Tanzanie souffrait du palu… Impossible d’être correctement briefé sur mon futur job. En revanche le chef de mission tenta de brosser un premier tableau sur la situation géopolitique régionale. Et franchement c’est le bordel ! Il faut rappeler que le Burundi est voisin de la RDC (République du Congo), qui accueille depuis de nombreuses années ce que certains ont nommé la « guerre mondiale africaine ». L’intensité des affrontements et le moral des troupes ont beau avoir considérablement diminué ces derniers temps, il ne reste pas moins encore beaucoup (trop ?) de protagonistes. Entre le FPR tutsi (front patriotique rwandais), les maï-maï, les FARDC (forces armées de la République du Congo, le FNL hutu (front national de libération), le CNDD-FDD, les FDLR hutus (combinaison d’ex FAR – forces armées rwandaises - et de milices devenus récemment rastas) difficile de faire la différence. A cela, rajoutez la MONUC (force des Nations Unies) chargée du désarmement… Impossible de s’y retrouver. Si d’aventure l’un d’entre vous souhaite lancer un nouveau mouvement de guérilla au Congo ou dans sa région, j’espère qu’il saura faire preuve de suffisamment d’imagination pour trouver un nom original ! Pas évident de trouver une combinaison inédite…
Au Burundi fort heureusement des 7 mouvements de guérilla actifs il y a encore quelques années, il ne reste plus qu’une seule faction belliqueuse dans les environs de Bujumbura (Buja), dans une zone nommée Bujumbura Rural. On parle bien de quelques incursions armées ou de tentatives de recrutement de cette force du FNL, mais la situation est très calme en comparaison des 10 ans de guerre civile qui s’étalèrent entre 1993 et 2003 et qui firent plus de 300 000 victimes. Les rares cas de violence recensés relèvent plus du brigandage que d’une réelle volonté de déstabilisation politique. A l’aube de pourparlers de paix et en plein milieu du processus électoral, les FLN tirent bien quelques coups pour montrer qu’ils existent encore et qu’il faudra compter avec eux. Rien de plus.
Grande nouvelle. Désormais appelez-moi « Romeo Juliet 3.6 », c’est mon nouveau nom ! Tout expat’ se voit confier un handset. C’est une radio VHF qui permet de communiquer jusqu’à 5 kilomètres. Les autorités burundaises nous autorisent à utiliser un canal par mission, et tout déplacement doit être signalé au chef opérateur de notre base. Une des caractéristiques de la VHF, c’est qu’une fois sur un canal, on entend tout ce qui se passe. Voilà pourquoi il est très important de s’identifier clairement ainsi que son interlocuteur. Toute conversation (forcément écoutée) est ponctuée de « terminé », « à toi », « copie moi ça » et autres « je te reçois 3 sur 5 ». Chacun sur la base reçoit un code, tout comme les maisons, le bureau, l’aéroport… De même, sur chaque route des points de repères sont déterminés, un code leur ait attribué et à chaque passage, le chauffeur doit faire le point. Ainsi en cas de silence radio (forcément suspect), on peut envoyer des voitures très rapidement à des points relativement précis. La sécurité, c’est important pour ACF ! On doit signaler tout déplacement à toute heure de la journée, et porter ce handset en permanence… En boîte, ça donne une certaine contenance, j’en suis sûr ! En tout cas, je ne me plaindrai plus de l’esthétisme des portables, un handset Motorola GP360 ferait passer un portable Thompson de l’année 1986 pour un modèle de discrétion ! J’avoue, pour le moment j’aime bien faire des annonces radios. « Base pour Romeo Juliet 3/6. A vous. » !
Pour finir, j’ai tout de même eu mes premiers contacts avec ce qu’on appelle le terrain. Le terrain est cette drogue qui fait tenir les humanitaires. C’est pour lui qu’ils bossent en moyenne 60h par semaine, payés une misère dans des conditions déplorables (pour le moment on a pas d’eau chaude…). Il y a ceux qui le parcourent en tout sens à toute heure (en dehors des heures de couvre feu), et ceux qui n’y vont que rarement, leur boulot les obligeant à rester derrière un ordinateur afin de tenir la compta ou le suivi des missions. Quelle que soit leur implication, aucun ne peut s’en passer. C’est sur le terrain que nous pouvons pleinement mesurer la dimension de notre sacrifice. On y rencontre les « bénéficiaires ». On peut visiter les maisons, les étables, les hangars, les barrages construits pas ACF...
Dans le cas d’ACF, c’est là qu’il est possible de prendre le pouls de la lutte contre la malnutrition. Pour faire simple il existe 2 cas de malnutrition : la modérée et la sévère ou aiguë. ACF agit au niveau de cette dernière, quand les structures étatiques ne peuvent plus assurer un minimum pour leurs populations. Il faut être conscient du fait que la malnutrition sévère ou aiguë est une maladie extrêmement grave, car mortelle surtout quand elle touche les enfants de moins de 5 ans. A la télé se sont les enfants décharnés ou souffrants d’œdèmes (gros ventres…). La réponse à la malnutrition sévère ou aiguë est un centre thérapeutique nutritionnel (CNT), qui prend en charge 24h/24h pendant une période de 25 à 30 jours les enfants malades et éventuellement leurs familles. Les gens sont mis au courant de l’existence des CNT par des éclaireurs qui sillonnent la région en motos. Si besoin est, ACF affrète des véhicules pour transporter les bénéficiaires jusqu’aux centres. Les CNT sont presque toujours situés à proximité d’un hôpital pour pouvoir traiter les pathologies graves au cas échéant. Il s’agit dans un premier temps (phase 1) de rétablir le métabolisme de l’enfant en les réhydratant pour notamment rétablir leur équilibre en sels minéraux. La phase 1 dure de 2 à 5 jours selon la gravité des cas. Les enfants qui souffrent de malnutrition sévère ne peuvent plus rien absorber, ils sont soit en « kwashiorkor » (ventres gonflés, oedèmes), soit en « marasme » (peu de mouvements, yeux révulsés…). S’ils survivent et que leur métabolisme est rétabli, ils passent alors en phase de transition pendant une dizaine de jours avec une alimentation plus riche. Enfin ils atteignent la phase 2. Là ils prennent de 5 à 8 repas quotidiens de lait hyper énergétique afin de leur faire gagner suffisamment de poids pour rejoindre les moyennes acceptables. Une fois l’équilibre rétabli les enfants quittent le centre. Sur place ils ont été pris en charge ainsi que leurs familles par des psychologues qui les suivent, jouent avec eux et essayent de leur rendre le sourire. Quel bonheur de voir une petite redevenir capricieuse !
J’ai visité cette semaine mon premier CNT. Et là en voyant tous ces enfants squelettiques et leurs mères j’ai enfin compris ce que je faisais. Ce pour quoi ACF se battait. Ce matin on a fait un tour des marais dont je vais devoir superviser les travaux d’installation (impliquant un problématique achat de 48t de béton), ainsi que des hangars, des boutiques et des étables sur le modèle de celles dont je vais suivre chaque étape de la construction. On a fait 4 heures de bonne piste pour s’y rendre. Les seuls véhicules en circulation sont les gros 4*4 des divers ONG présentent sur le terrain (Caritas, UNHCR, GTZ, MSF…) et autres militaires. N’oublions pas les nombreux vélos suicidaires qui peuvent transporter jusqu’à des poutrelles ou des poteaux télégraphiques… ! Quand on sait qu’ils n’ont souvent pas de freins, c’est impressionnant… Réflexe symptomatique, les piétons se rangent très rapidement sur le bas coté quand ils nous aperçoivent. Les accidents doivent être nombreux et violents sur ces pistes. D’un autre coté, souvent les riverains nous saluent en souriant. Au moins ils ne manifestent aucune hostilité envers nous. Signe que les temps changent au Burundi. En tout cas, difficile de se dire que tous ces gens d’apparence si paisible, pour certains se poursuivaient à grand coup de machettes ou de grenades il n’y a pas si longtemps que ça…
Voilà que je finis ces lignes au son du générateur de notre bureau qui n’arrive pas à couvrir l’appel si familier du muezzin ! Eh oui, il y a tout un quartier musulman ici. Quelle joie de réentendre cette douce mélodie. Ca ne vaut pas les appels en cascade et en stéréo d’Istanbul, mais ça a son petit charme au milieu des collines burundaises ! C’est surtout si inattendu.
Voilà pour mes premières impressions burundaises…